La Confiance du marquis Fabrice
La Confiance du marquis Fabrice
Poème III du chapitre XVIII « L’Italie – Ratbert »
L’action de ce chapitre se situe approximativement vers
1330, période durant laquelle aurait régné sur l’Italie, Ratbert, roi d’Arles
et empereur d’un saint empire germanique en butte aux luttes féodales et au
régionalisme. Ratbert, personnage créé par Victor Hugo dans la lignée des
caractères shakespeariens, concentre en lui tous les vices que de tels
seigneurs pouvaient réunir et accomplit tous les méfaits, toutes les cruautés,
et toutes les félonies que le statut d’empereur et de roi pouvait permettre.
Détenteur du pouvoir, il est suivi et respecté par tout ce que compte le
royaume de prélats, de seigneurs vassalisés, de femmes, de barons, de
chevaliers s’accordant à voir en lui le représentant de Dieu et l’incarnation
de l’ordre et de l’Etat, servant leur
caste et opprimant le peuple.
Sur les bords du golfe de Gènes, dans Final, citadelle
élevée sur un mont, demeurent le marquis Fabrice et sa petite fille Isora,
orpheline ; le vieux guerrier fut naguère rebelle aux puissants et rempart
des humbles.
Or le château recèle un trésor considérable, objet de la
convoitise de Ratbert, dont le marquis est seul à connaître la cachette. En
trompant le marquis Fabrice sur le mobile de sa visite, Ratbert pénètre dans la
forteresse ; il y fait massacrer tous ses habitants et tout ce qu’elle
comptait de défenseurs. Puis pour obliger Fabrice à lui livrer le trésor,
Ratbert fait étrangler Isora et présente son cadavre au vieillard.
La plainte de Fabrice en présence du corps inanimé et mutilé
de sa petite fille, l’expression de sa révolte, constitue un monologue de cent
vingt et un alexandrins.
Note d’intention pour la mise en scène
La plainte, la révolte, le désarroi, la chute libre du
marquis Fabrice dans l’insondable douleur, dans l’incommensurable
incompréhension crée, comme toute chute, un ‘‘appel d’air’’. Lors d’une
représentation cet ‘‘air’’ sera composé des élans, des forces, des mouvements
généreux – compassion, pitié, indignation, révolte, colère – émanant de chacun
des spectateurs et qui sont autant de signes de sa vitalité et de son humanité
éveillées
L’intention
n’est pas de faire pleurer le spectateur sur la mort d’Isora ou sur le sort du
marquis mais de laisser envahir l’espace et le temps de la représentation par
ce cortège de sentiments et de réflexions ; profonde et réelle
participation du public.
Ainsi, Mettre en scène cette « pièce de théâtre »,
c’est faire reposer toute la responsabilité de la représentation sur l’acteur,
faire œuvre de dépouillement, s’écarter de tout modèle ou courant théâtral
spectaculaire car cette œuvre forte et apparemment noire semblerait pouvoir
s’inscrire dans une esthétique prônant le sombre pour le sombre, cherchant à
rendre le spectateur voyeur et complice de la seule performance cruelle
C’est refuser toutes considérations formelles ou
stylistiques qui ne naissent pas de la nécessité ; nécessités d’expression
et de partage.
C’est dépouillement
de tout mot d’ordre esthétique, esprit idéologique moralisateur, de toute
volonté de conformité à quelque mode, de l’abscons, de dévalorisation du sens
et des sens, de négation de l’esprit, de complaisance du morbide, de
provocation volontaire, de tout enfermement dans un discours politique ou
calculateur, afin qu’atteignant le présent de la représentation ce
dépouillement évincent toutes considérations personnelles égotiques des êtres
effectivement présents, acteurs et spectateurs, pour laisser envahir la scène
par les forces ineffables convoquées par Fabrice, ces forces d’indignation et
de compassion qui sont la manifestation de la profonde obéissance à l’Amour,
principe des principes, seule réalité animant tout ce qui vit ; le mal n’étant
que de l’ombre, du spectral, de l’irréel, du passager, de l’accidentel, de
l’in-consistant, de l’in-constituant destiné à l’oubli comme le nom même de
Ratbert oublié par l’Histoire. Le mal, force repliée sur elle-même dont l’œuvre
de Hugo se charge d’en dénoncer l’inanité.
La grande mission du théâtre réside dans l’actualisation de
cette réalité suprême, dans sa capacité à ouvrir l’espace temporel de la
représentation à la pluralité de sa manifestation.